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Capital - Le banque bashing

 

 

 

 


  



UNE  CHRONIQUE

d’Alain Lemasson

(Capital le 19 septembre 2020) 

 

  

Arrêter le banque bashing (titre original) 

 

Plus de dix ans après la crise des subprimes, toute la lumière n’a pas été faite, et pourtant l’idée de la culpabilité des banques s’est ancrée fermement dans les esprits.  La double faute leur est même reprochée, puisqu’après avoir joué avec le feu et déclenché la crise, elles auraient demandé l’aide des États.

Cette condamnation unanime, issue d’analyses incomplètes, est une composante lourde du bank bashing qui sévit depuis lors et joue hélas contre nos intérêts. Nous sommes en effet à un moment critique où l’Europe, confrontée à la domination de la finance américaine et du dollar, se  doit de développer ses capacités financières propres. Le développement d’un secteur financier pan-européen puissant est donc essentiel si nous voulons notamment favoriser l’émergence de futures gafas européennes.

S’il est vain d’espérer la disparition complète de ce bank bashing et, pourrait-on dire, du marché bashing  dont la racines plongent à la fois dans l’histoire et dans l’ignorance du rôle de la finance, il est néanmoins urgent que soit initié un travail de vérité à cet égard, un travail salutaire.

Le sauvetage public des banques a sans doute été l’élément le plus choquant pour l’opinion. La vérité est pourtant que l’intervention de l’État français en faveur des banques n’était pas destinée à compenser des pertes financières, comme cela a été  dit, mais à éviter l’effondrement global du système bancaire consécutif  au blocage brutal du marché interbancaire.

L’argent public n’a pas été donné aux banques

Pour le comprendre, il faut se représenter le marché interbancaire comme le poumon des banques. Ce système, aussi discret que vital, repose sur la confiance et permet  aux banques l’ajustement permanent de leur trésorerie par des prêts mutuels de très courte durée. Des milliards sont ainsi échangés quotidiennement.

Dès les premières rumeurs et faute de savoir quelles banques pouvaient s’avérer insolvables, elles ont cessé de se prêter mutuellement. L’intervention étatique immédiate a alors permis d’éviter que des établissements en bonne santé puissent être mis en faillite. Il ne faut pas confondre, comme cela a été fait, mauvaise gestion et assèchement des liquidités.

Des milliards d’euros ont été ainsi prêtés aux banques, et non donnés. Tous ont été remboursés, intérêts compris. A la  seule exception d’une banque franco-belge, aucune banque française n’a été renflouée du fait de pertes résultant d’investissements dans les obligations subprimes.

Les banques ne se sont pas débarrassées des mauvais crédits

La deuxième accusation non moins corrosive concerne la titrisation, présentée de façon fallacieuse comme une technique des banques pour se débarrasser des mauvais crédits.

Cette technique d’apparence obscure existe en fait depuis plus d’un demi-siècle. Simple dans son principe, elle fonctionne en deux temps, le premier étant la vente d’un ensemble de crédits par une banque à une entité spécialisée. Le second temps est l’émission de titres par l’entité en question  pour un montant total égal au montant des crédits. Le remboursement des crédits par les emprunteurs d’origine est alors reversé aux acheteurs des titres.

Il faut savoir que la titrisation est par exemple encouragée par les autorités monétaires européennes. Et ce pour une raison simple, elle permet aux banques de prêter plus à l’économie malgré des fonds propres limités, et sans contrevenir au respect des ratios prudentiels.

Penser une seconde que la banque  puisse tromper l’acquéreur sur la qualité des crédits cédés ou que celui-ci achète les yeux fermés est absurde. Le contrôle des crédits cédés est minutieux et s’appuie sur le professionnalisme des parties. Par ailleurs l’acheteur des crédits émet des titres dont le risque global, connu de l’investisseur, est quantifié par une agence de notation sur la base de modèles statistiques actualisés en permanence.

La responsabilité du gouvernement américain

Le segment particulier de la titrisation des crédits subprimes a été introduit par les autorités américaine en  1977 dans le cadre d’une politique sociale peu connue d’aide au logement des ménages défavorisés, appelés emprunteurs subprimes. Le dispositif s’appuyait sur une société appelée Fannie Mae chargée d’acheter aux banques  les crédits bancaires immobiliers accordés à ces emprunteurs et de garantir les titres émis afin d’en faciliter l’acquisition par les investisseurs. Cette société publique, créée en 1938 a été à demi privatisée en 1968 puis renationalisée en 2008, au plus fort de la crise. Pour dire les choses simplement, ce système un peu compliqué fonctionnait comme une banque publique, faisant donc supporter les crédits non remboursés par le contribuable.

Le dispositif a longtemps fonctionné sans problème mais il a changé d’échelle à partir de 1997, du fait d’une loi contraignant les banques  à délivrer certains quotas de crédits subprimes, sous peine de sanctions. Plusieurs éléments se sont ensuite conjugués, conduisant à l’emballement du système jusqu’à son point culminant en 2007.

Cet emballement a résulté de la précipitation des banques de crédit pour remplir leurs obligations, et parallèlement de la hausse continue du marché immobilier. De leur côté, les banques d’affaires ont fabriqué des titres de titres, mélangeant les titres émis par Fannie Mae avec d’autres de manière à offrir aux investisseurs du monde entier des produits sur mesure en terme de risque et de rémunération. Les volumes concernés se sont mesurés en milliers de milliards de dollars.

L’élément de fragilité du système était que les titres émis par Fannie Mae étaient réputés implicitement garantis par le gouvernement américain. Le retournement du marché immobilier a fait apparaitre un doute ravageur sur la réalité de cette garantie, provoquant l’effondrement de la valeur de tous les titres construits à partir de titres subprimes.

La responsabilité des États-Unis et notamment du Ministère du Logement est claire. Non seulement la contrainte des quotas pour les banques aurait dû être abrogée, mais surtout l’activité de Fannie Mae  a été  arrêtée beaucoup trop tard.  Cette responsabilité publique ne sera probablement jamais admise officiellement car elle met en cause les deux grands partis américains. On peut imaginer que seuls les grands investisseurs, les fonds souverains chinois et russes ont alors été indemnisés directement et discrètement, après la renationalisation de Fannie Mae en 2008.

Un outil de pédagogie

Il a été facile pour les détracteurs des banques et des marchés de convaincre l’opinion de la culpabilité de ces institutions par la diffusion d’accusations simplistes. Rétablir la vérité est naturellement plus difficile, comme l’illustre cette phrase de Tocqueville : « Une idée fausse, mais claire et précise, aura toujours plus de pouvoir sur le monde qu’une idée vraie, mais complexe ».

Souhaitons que la vérité sur le rôle des banques dans la crise des subprimes soit diffusée largement. C’est d’autant plus souhaitable que l’étude apaisée de ce que l’on pourrait appeler la chaine des subprimes présente par ailleurs un grand intérêt pédagogique.

Tous les outils de la finance moderne s’y trouvent en effet réunis dans un ensemble cohérent et dans une approche micro et macro-économique. Il y a là une introduction complète à la notion de risque, à la complémentarité des banques et des marchés, à la créativité des banques de  Wall Street et au concept ambigu de shadow banking.

L’outil pédagogique par excellence donc, qui justifierait sa présentation dans les Grandes Ecoles et à l’Université, et peut-être dans le monde de l’entreprise, au titre d’une indispensable culture générale financière.

 

Alain Lemasson 

 

 

 

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23/09/2020
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