Les Échos - L'arrêt du quantitative easing ?
UNE TRIBUNE
dans LES ÉCHOS
(publiée le 21 mars 2023 puis retirée)
DETTE: Faut-il arrêter le quantitative easing?
Dès l’origine, le quantitative easing a fait l’objet d’interprétations diverses qui n’ont pas facilité sa compréhension, au contraire. Ce montage complexe relevait il est vrai d’une logique surprenante puisqu’il s’agissait pour la BCE de financer les États à travers un mécanisme respectant à la lettre l’interdiction formelle de le faire.
La solution trouvée, d’une parfaite orthodoxie juridique, a été le financement indirect par le biais des rachats d’obligations souveraines sur le marché. La conséquence économique était considérable puisqu’une alternative était ainsi créée au financement des États par les marchés.
L'action en faveur des États
Plus encore, la BCE avait dès lors toute liberté pour modifier à son gré les conditions de ce financement, dans un sens favorable aux États de la zone euro. C’est ainsi que les durées de financement ont été allongées, les taux d’intérêt diminués, et mieux encore, la BCE s’est engagée à renouveler d’elle-même les obligations détenues qui arriveraient à maturité.
Plus qu’un prêteur bien disposé, la BCE devenait un investisseur de long, très long terme, pour le plus grand bien des États dont le profil d’emprunteur était ainsi amélioré, à l’instar d’une entreprise dont la dette serait progressivement transformée en quasi-fonds propres. Selon les données les plus récentes fournies par le Trésor, 48% de la dette française était détenue par la BCE en juin 2022.
La science économique classique a peiné à expliquer ce phénomène nouveau des rachats d’obligations. Son assimilation à la création monétaire a été remise en cause par l’absence d’impact inflationniste. Le paradoxe est d’autant plus grand à cet égard que l’objectif d’origine de l’assouplissement quantitatif était de lutter contre la déflation alors menaçante.
Il avait été admis que l’objectif d’une inflation « proche de et inférieure à 2 % » s’appliquait dans les deux sens, et que la déflation était aussi dangereuse pour l’économie qu’un excès d’inflation. La déflation a effectivement été vaincue, mais sans effet inflationniste.
Les taux négatifs
La perplexité des économistes s’est encore accentuée avec l’introduction des taux d’intérêts négatifs, pourtant censés ne pas exister. Le parallèle avec les mathématiques s’impose, avec l’invention du nombre imaginaire i, lequel postule l’existence de l’impossible, à savoir la racine carrée d’un nombre négatif.
Cet imaginaire i a pourtant permis la modélisation de nombreux phénomènes physiques, comme le courant alternatif, établissant en quelque sorte le lien entre l’imaginaire et le réel.
Les rachats systématiques d’obligations, les taux négatifs équivalents à des subventions, l’allongement des maturités ont très bien fonctionné, du point de vue des États naturellement, et du point de vue des marchés. De 2015 à 2022, l’économie des pays de l’OCDE a connu une période de stabilité et de croissance, prouvant la grand efficacité du quantitative easing.
On peut supposer que l’harmonisation des politiques de la FED et de la BCE à cet égard a contribué à la stabilité relative du taux de change de l’euro face au dollar. Quelles que que soient les critiques suscitées par la hausse considérable du bilan des banques centrales, le fait de la symétrie des politiques de part et d’autre de l’Atlantique a certainement joué en ce sens.
L'arrêt des rachats d'obligations ?
On ne peut dès lors que s’interroger sur les pas en arrière qui semblent s’annoncer en 2023. A l’arrêt des rachats d’obligations pourrait succéder une politique de diminution de la taille du bilan de la FED. Et d’accord ou pas, la BCE se voit obligée de suivre sous peine de créer un possible décrochage de l’euro et des tensions sur les marchés obligataires.
Accepter le risque de récession lié à l’augmentation des taux d’intérêt peut s’entendre dès lors qu’il s’agit de lutter contre l’inflation. Il est plus difficile en revanche de comprendre le sens de la revente des obligations acquises par la FED et la BCE.
Alain Lemasson
Ancien banquier – Fondateur d’infofi2000
voir la chronique sur le site des Échos (clic sur l'image)
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