BCE: un choix difficile
UNE TRIBUNE
dans LES ÉCHOS
(le 27 avril 2022)
Le choix difficile de la BCE
L’inflation persistante pourrait marquer la fin du quantitative easing, une politique sans précédent conduite par la BCE depuis 2014. Une politique subtile, présentée à l’origine comme l’application stricte de son mandat de stabilité des prix face à une situation inédite, la menace de désinflation. C’est ainsi que la BCE a baissé les taux d’intérêt et pris des mesures de création monétaire par le biais des achats d’obligations souveraines, dans le but de faire remonter l’inflation au niveau convenu proche de 2%. Si la menace de désinflation a bien été écartée, l’élément inattendu a été le maintien de l’inflation à un niveau très inférieur à l’objectif convenu, conduisant la BCE à augmenter ses achats d’obligations année après année. S’il est clair que le surgissement récent de l’inflation est dû à des facteurs externes et probablement conjoncturels, il est non moins clair que la BCE ne pourra pas rester longtemps inactive. L’interruption du quantitative easing et la hausse des taux d’intérêts paraissent inéluctables. La fin de l'aide aux États ? L’arrêt des rachats d’obligations souveraines marquerait la fin d’une politique dont la portée économique, peu soulignée, est pourtant considérable, puisqu’au-delà de son objectif monétaire, elle s’est traduite par une aide de fait au financement des États. Se substituant progressivement au marché et en toute légalité, la BCE détient à ce jour environ 50% de la dette des États de la zone euro. Une dette dont la structure globale a été par ailleurs profondément modifiée, du fait de l’allongement des maturités des obligations passées de six mois à plusieurs dizaines d’années, et de surcroît renouvelables. Le distinguo juridique-économique doit être à nouveau pris en compte, en ce sens que la dette reste juridiquement une dette, mais sa restructuration signifie l’allègement des charges annuelles de remboursement et surtout sa bonification du point de vue des marchés. Le parallèle s’impose à cet égard entre cette nouvelle perception du risque Europe par les marchés et l’attitude positive d’un banquier face à un emprunteur qui aurait transformé 50% de sa dette en fonds propres ou quasi-fonds propres. S’ajoute à cela l’impact non négligeable des taux négatifs agissant comme de véritables subventions réduisant d’autant le volume de la dette. Cet allègement de fait de la dette globale a naturellement permis aux États de se ré-endetter partiellement afin d’absorber l’impact économique potentiellement désastreux de la pandémie et d’atténuer les effets à venir de l’inflation galopante. La pression de la FED Plus préoccupante est l’accélération d’une sortie du quantitative easing de la part des États-Unis. Les marchés jusque là rassurés par la démarche en parallèle des grandes banques centrales pourraient s’inquiéter du cavalier seul initié par la FED, susceptible d’accentuer la baisse de l’euro amorcée par le conflit ukrainien Il est néanmoins clair que de nouveaux besoins de financement s’annoncent déjà, qu’il s’agisse des mesures d’aide à l’Ukraine, et surtout des actions à mener pour amortir le chaos économique mondial qu’annonce la perturbation des échanges de matières premières et des produits agricoles. Cette perspective pourrait conduire la BCE à reprendre le quantitative easing dans un contexte de taux élevés. Techniquement possible, cette mesure destinée à maintenir l’emploi et le niveau de vie des Européens supposerait l’accord des gouverneurs. Inconcevable il y a quelques semaines seulement, une nouvelle interprétation du mandat de la BCE devrait emporter l’adhésion des pays du Nord de l’Europe, tant il est vrai que les situations de guerre poussent au pragmatisme et à la remise en cause des positions de principe.
Alain Lemasson Ancien banquier – auteur, chroniqueur, fondateur du site Infofi2000.com |
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