Capital - Mai 2020
La Leçon d'ÉCO
d’Alain Lemasson
Comment fonctionnent les armes de la BCE
(titre original: BCE, une politique monétaire de crise)
Les difficultés économiques liées à la crise sanitaire ont conduit la BCE à renforcer considérablement sa politique monétaire. Alors que certains économistes et non des moindres demandaient il y a quelques mois l’abandon de l’objectif d’inflation à deux pour cent et la fin des taux négatifs, la banque centrale européenne a en fait décidé de continuer dans la droite ligne des mesures initiées par son Président sortant.
Des mesures habiles, subtiles mêmes, qu’il a fallu imposer à l’origine au sein du Conseil de la Banque et face à l’opinion allemande.
Comme chacun a pu l’observer en effet cette politique monétaire a permis l’allègement de la charge d’intérêts des États et contribué efficacement à la reprise de l’activité et de l’emploi. Mais il y a plus, un plus considérable lié au fait que les États dépendent de moins en moins des marchés pour s’endetter.
Ce résultat passé sous silence mérite quelque attention. Pour en saisir la nature, il faut se mettre à l’esprit la manière de s’endetter des États, qui n’est pas celle que nous connaissons dans la vie courante. Alors qu’un crédit immobilier par exemple est remboursé mensuellement, en capital et intérêts, les emprunts d’État sont concrétisés par des obligations au porteur, précisant à chaque fois l’échéance et le taux d’intérêt. De trois mois à quelques années, ces échéances ont été progressivement allongées.
La conséquence de cette manière de faire est que l’État emprunte en quelque sorte deux fois, pour couvrir le déficit à financer d’abord, et aussi pour rembourser les obligations arrivées à maturité. Donc une grande dépendance du bon-vouloir des prêteurs et des fluctuation de taux d’intérêts.
Concrètement, ceux qui prêtent à la France, c’est-à-dire ceux qui achètent les obligations, sont des fonds de pension, d’autres États disposant d’excédents, des banques, …appelés les investisseurs, ou plus simplement le marché.
Ces investisseurs n’achètent pas les yeux fermés, mais se fient à la qualité de signature de l’emprunteur. Un travail de banquier classique en quelque sorte, analysant le sérieux de la gestion étatique, la perspective de la monnaie utilisée et …l’endettement existant.
On comprend dès lors l’importance du rachat des obligations par la BCE. En clair la Banque Centrale se substitue partiellement au marché et devient prêteur. Un prêteur particulier, une sorte d’actionnaire en fait, puisque disposé à renouveler les obligations matures, donc sans en demander le remboursement. On peut imaginer que 50% de la dette actuelle et future des États pourrait être ainsi sécurisée.
C’est très rassurant pour les autres détenteurs de dette française, pour lesquels la qualité du « risque France » est améliorée. Comptablement, notre endettement va certes s’accroître bien au-delà des 100% du PIB. Pour les prêteurs c’est au contraire comme s’il se réduisait de moitié et donc que la situation financière de l’emprunteur s’allège d’autant.
Il faut saluer la performance de Mario Draghi, qui a réussi à convaincre l’Allemagne du bien-fondé de cette politique monétaire au regard de son objectif, le contrôle de l’inflation … et de la déflation. Et aussi qu’en intervenant par l’intermédiaire des banques, la BCE ne contrevenait pas à l’orthodoxie de ses statuts lui interdisant de prêter directement aux États.
La politique de la BCE comporte d’autres volets passionnants à découvrir comme les taux négatifs et le coup de pouce discret donné aux banques. A suivre donc.
Alain Lemasson
Ancien banquier (France, Allemagne, USA)
Fondateur du site de e-learning Infofi2000.com
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