Capital- Les bacheliers français
UNE CHRONIQUE
d’Alain Lemasson
(Le 15 août 2024)
Les bacheliers français votent NFP et RN
Avec 48% des suffrages, le vote des 18-24 ans aux élections législatives s’est porté majoritairement sur le Nouveau Front Populaire, contre 33% et 13% en faveur du RN et d’Ensemble. La forte proportion de bacheliers dans cette tranche d’âge (plus de 70%), conduit à s’interroger sur leur adhésion à des partis aux programmes économiquement contestables alors que, de la classe de Seconde à la Terminale, ces jeunes électeurs ont bénéficié d’une formation continue en économie.
On pourrait attendre en effet de ces trois années d’enseignement une préparation sérieuse à la compréhension du monde économique actuel. Les élèves devraient savoir en quoi ce monde est différent de ce que les grands penseurs pouvaient percevoir de leur époque. Et comprendre comment le changement des modes de production, le rôle croissant de la finance et l’accélération exponentielle des échanges internationaux des trente dernières années ont modifié la donne en profondeur, entraînant notamment la remise en cause de la maîtrise complète par l’État de l’économie nationale.
Un premier doute sur l’enseignement reçu s’installe en fait dès la lecture des programmes, où l’on découvre que l’économie et la sociologie sont enseignées en même temps. Et plus encore, puisque l’écologie et plus récemment la science politique, ont été ajoutées au programme des « Sciences Économiques et Sociales ».
Le silence sur le rôle de la finance
Ce doute s’accroit à la découverte des cinq chapitres de la partie proprement économique, sur les douze que compte le manuel. Il y est question de la croissance, du commerce international, du chômage, des crises financières et de l’Europe. Chacun de ces chapitres révèle son lot d’affirmations biaisées, et d’inquiétants silences. L’impact négatif de la croissance sur les inégalités et sur l’environnement est ainsi abondamment souligné, alors que rien n’est dit du rôle crucial de la finance dans la croissance.
Un autre exemple concerne l’affirmation de l’irresponsabilité des banques, accusées de prendre tous les risques en se sachant couvertes par les États, à quoi s’ajoute le reproche récurrent du manque de régulation des marchés. Des affirmations fallacieuses, puisqu’il n’est pas dit que le renflouement d’une banque signifie pour ses actionnaires la perte intégrale de leurs avoirs. Quant à la non-régulation affirmée des marchés, rien n’est dit non plus du contrôle sévère des bourses par la Security Exchange Commission américaine ou l’AMF française par exemple. Il n’est d’ailleurs rien dit non plus du rôle premier de la bourse qui est de financer les entreprises sans obligation de remboursement, un oubli considérable. Tout aussi étrange, le chapitre consacré à l’Europe souligne la perte de souveraineté monétaire des Etats membres, laissant penser que la France est dorénavant privée de la possibilité de dévaluation de sa monnaie, implicitement présentée comme une mesure de bien public.
Marx et Bourdieu en première ligne
Les sept chapitres qui suivent sont consacrés à la sociologie, à l’écologie et à la politique. L’espoir d’une approche équilibrée de ces matières sensibles disparait très vite, sachant par exemple que Marx et Bourdieu sont préférés à Aron et Tocqueville. La lutte des classes ainsi que les effets négatifs du capitalisme sur les inégalités et l’environnement sont ainsi expliqués en détail. On attend en vain l’analyse objective des facteurs du formidable essor des économies occidentales depuis les années 2000 et des progrès remarquables de la France en matière de lutte contre les inégalités de toute nature et de protection de l’environnement.
Loin d’ouvrir l’esprit des bacheliers, l’enseignement de l’économie en France est ainsi biaisé autant par son anticapitalisme explicite que par ses silences. Donner à cet enseignement son indispensable objectivité imposerait la modification des programmes. On ne peut que constater à cet égard l’échec des ministres successifs de l’Éducation Nationale confrontés à la résistance du Conseil Supérieur des Programmes.
Alain Lemasson
Centrale et Insead, ancien banquier
Auteur de « Comprendre l’économie et la Finance modernes – 4ème édition » voir ici (clic)
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