Les Grandes Écoles doivent changer
UNE CHRONIQUE
dans CAPITAL
(le 17 janvier 2022)
L’avenir des Grandes Écoles
Le système des Grands Écoles françaises a beaucoup évolué, comme le montrent son ouverture progressive aux étudiants issus d’autres filières, son internationalisation croissante, l’ouverture aux candidats étrangers, ou les échanges avec d’autres Universités dans le monde. Pourtant un problème de fond demeure, que révèlent plusieurs indices. Les classements internationaux d’abord, qui ne nous sont guère favorables, mais aussi le déclin industriel français, le faible nombre de brevets déposés année après année, et surtout l’absence d’entreprises françaises – ou européennes - dans le cercle très fermé des gafam. En fait, quiconque ayant vécu ailleurs dans le monde est fondé à penser que le système français des Grandes Écoles n’est pas sans défaut. Des défauts que seuls le regard des autres et le regard sur les autres nous font découvrir.
Le système américain et le système allemand Les États-Unis, par exemple, ont avec le club très select des Universités de l’ivy league - dont Harvard, Yale, Columbia ou Stanford - l’équivalent de nos Grandes Écoles françaises. Les diplômés de ces universités sont en fait recrutés en priorité par les grands cabinets de conseil et les banques de Wall Street, un peu comme en France les diplômés de l’ENA et les meilleurs de Polytechnique se retrouvent dans la haute fonction publique ou dans la direction des grandes entreprises publiques. La différence avec la France est que dans le secteur public et dans le secteur privé, le « jeu » est ouvert, c’est-à-dire que les évolutions de carrière se font avant tout à partir de la performance. Le diplôme n’est pas ce caractère d’indicateur automatique de qualité présent dans l’esprit des recruteurs et des patrons français, présent aussi dans l’administration publique. La situation est quelque peu différente en Allemagne, où la notoriété du diplôme est liée au domaine d’études plus qu’au nom de telle ou telle université. Le droit est ainsi au sommet de la hiérarchie et il se produit comme en France, avec Polytechnique ou l’ENA dans d’autres domaines, un phénomène d’aspiration des talents vers la sphère juridique. Dans les autres domaines, le jeu est néanmoins beaucoup plus ouvert qu’en France. Les Allemands observent avec curiosité ce qu’ils appellent les Elitenschulen françaises, les écoles d’élites.
Le plafond de verre des diplômes français La hiérarchie dans les entreprises ne se confond pas comme en France avec la hiérarchie des diplômes. Il arrive qu’un technicien particulièrement compétent dirige une équipe d’ingénieurs, chose impensable en France. Et de même, les ingénieurs diplômés n’hésitent pas à rejoindre les PME. En revanche, la différence des niveaux entre les personnels français et allemands de la fonction publiques est sensible et se fait criante dans les réunions internationales, marquées par le brio de nos diplomates … en dépit de leur faible maitrise de l’anglais. Ces quelques observations font apparaître un handicap français d’importance, ce qu’on pourrait appeler le plafond de verre du diplôme. Il faut comprendre que la promotion dans l’entreprise atteint très vite ses limites en France. Tôt ou tard, le diplôme prime sur la compétence, avec de nombreux effets collatéraux, et notamment le découragement de certains non-diplômés dont le potentiel ne sera jamais reconnu. Tout aussi grave sinon plus est le « décrochage » psychologique des jeunes admis en Grande École qui savent leur avenir garanti ou presque, et plongent à vingt ans dans la perspective d’une vie sans grand effort.
Changer d’échelle : le campus pluridisciplinaire La solution à ces problèmes est d’ores et déjà esquissée dans les conseils d’administration des grandes sociétés du Cac 40, qui montrent des profils d’administrateurs incroyablement différents : diplômés de Harvard, autodidactes, diplômés en philosophie d’Oxford, anciens patrons de startups, etc… Il faut donc introduire pragmatisme et compétence dans les recrutements franco-français … plus facile à dire qu’à mettre en pratique lorsqu’on est ancien d’une Grande École. Au niveau des Grandes Écoles elles-mêmes, deux axes pourraient être privilégiés pour changer la donne, faciliter l’internationalisation par la généralisation de l’anglais dans l’enseignement, favoriser les regroupements d’écoles d’ingénieurs, d’écoles de commerce et d’universités, et encourager les cursus croisés. Alain Lemasson Ancien banquier – auteur, chroniqueur et enseignant |
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