Capital - Les banques et l'aléa moral
UNE CHRONIQUE
dans CAPITAL
(publiée le 25 novembre 2022)
Les banques françaises sont injustement critiquées (le titre a été modifié sur le site de Capital)
La notion d’aléa moral, couramment enseignée en économie, exprime la déresponsabilisation de ceux qui prennent des risques exagérés parce qu’ils savent qu’ils n’en subiront pas les conséquences. L’exemple le plus courant est celui de l’assurance, dans la mesure où tout assuré peut être tenté de relâcher sa vigilance dans les domaines explicitement couverts par son contrat. Appliqué aux banques, ce théorème postule l’attrait de ces dernières pour les investissements les plus risqués et donc les plus rémunérateurs, car elles savent qu’elles seront secourues en cas de problèmes.
Il serait par conséquent nécessaire de renforcer leur contrôle et notamment celui de leur taille, afin de limiter les situations où leur sauvetage devient un impératif d’ordre public, ce que traduit la formule du too big to fail. La preuve de la validité du théorème aurait été donnée par le sauvetage des banques françaises en 2008, renflouées à coups de milliards d’euros d’argent public.
Cette interprétation repose en fait sur un défaut d’analyse de la situation réelle des banques concernées. L’argent versé ne leur a pas été donné mais prêté, ce qui est différent et il a été surtout remboursé en temps et en heure, intérêts compris.
L’urgence de l’aide apportée aux banques françaises n’était pas liée à l’imminence de pertes résultant d’investissements risqués dans les subprimes, mais à un problème de trésorerie causé par le blocage subit du marché interbancaire. La seule exception était Dexia, une banque franco-belge liquidée depuis.
La confusion entre pertes et problèmes de l’interbancaire
Il faut savoir en effet que le marché interbancaire est en quelque sorte le poumon des banques, un système d’échange quotidien de leurs liquidités par le biais de prêts et d’emprunts renouvelés en permanence. Son blocage, événement rarissime, se produit dès l’instant où apparait un doute sur la capacité d’un seul de ses participants à tenir ses engagements.
Si ce risque se concrétisait, c’est tous ceux qui lui ont prêté qui seraient en risque de non-remboursement, mais le problème est que les banques ignorent lesquelles d’entre elles sont alors concernées. Par prudence, les banques potentiellement prêteuses se retirent aussitôt du marché et les transactions sont bloquées, mettant en danger de faillite des établissements sains en recherche de prêts de trésorerie. C’est précisément cette situation qui a justifié l’intervention des autorités françaises en 2008.
Le renflouement signifie une perte totale pour les actionnaires
L’accusation faite aux banques de négliger les risques puisqu’elles comptent sur l’argent public pour les secourir s’expose par ailleurs à une autre réfutation, de simple bon sens celle-ci.
Il y a eu effectivement en Allemagne et au Royaume-Uni notamment des banques en situation de faillite potentielle du fait d’investissements trop importants dans les subprimes et qu’il a fallu renflouer immédiatement afin d’empêcher la panique des déposants, le fameux bank run. Il faut bien voir que l’argent public n’a pas été versé aux actionnaires, mais aux banques, de manière à reconstituer les dépôts de la clientèle. Les actionnaires ont quant à eux perdu la totalité de leur investissement. Ce sont donc les premiers concernés par le contrôle des risques au sein des établissements dont ils sont actionnaires, et les défauts de vigilance constatés ça et là leur ont coûté très cher.
Ne pas bloquer l’essor de grandes banques pan-européennes
Cette brève remise en perspective de la notion d’aléa moral des banques montre l’existence de lacunes qu’il convient de combler pour une meilleure compréhension du monde bancaire. Il est important de corriger l’image injustement mise à mal d’institutions essentielles pour notre économie. Il faut par ailleurs gommer l’idée d’une limitation nécessaire de leur taille, et encourager au contraire la création de grandes banques pan-européennes, un élément incontournable pour empêcher l’évasion de l’épargne européenne et surtout pour contenir l’influence américaine - et bientôt chinoise - dans le monde financier.
Alain Lemasson
Ancien banquier – Fondateur d’INFOFI2000
voir la chronique sur le site de Capital (clic sur l'image)
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