Capital - Le quantitative easing
UNE CHRONIQUE
d’Alain Lemasson
(Capital.fr le 23 avril 2023)
L’avenir du quantitative easing
Dès l’origine, le quantitative easing a fait l’objet d’interprétations diverses qui n’ont pas facilité sa compréhension, au contraire. Ce montage complexe relevait il est vrai d’une logique surprenante puisqu’il s’agissait pour la BCE de financer les États à travers un mécanisme respectant à la lettre l’interdiction formelle de le faire. La solution trouvée, d’une parfaite orthodoxie juridique, a été le financement indirect par le biais des rachats d’obligations souveraines sur le marché. La conséquence économique était considérable puisqu’une alternative était ainsi créée au financement des États par les marchés. Plus encore, la BCE avait dès lors toute liberté pour modifier à son gré les conditions de ce financement, dans un sens favorable aux États de la zone euro. C’est ainsi que les durées de financement ont été allongées, les taux d’intérêt diminués, et de surcroît la BCE s’est engagée à renouveler d’elle-même les obligations arrivant à maturité. Plus qu’un prêteur bien disposé, la BCE devenait un investisseur de long, très long terme, pour le plus grand bien des États dont le profil d’emprunteur était ainsi amélioré, à l’instar d’une entreprise dont la dette serait progressivement transformée en quasi-fonds propres. Selon les données les plus récentes fournies par le Trésor, 48% de la dette française était détenue par la BCE en juin 2022.
Le silence de l’économie classique La science économique a peiné à expliquer ce phénomène nouveau des rachats d’obligations. Son assimilation initiale à la création monétaire a été remise en cause par l’absence d’impact inflationniste. Le paradoxe est d’autant plus grand à cet égard que l’objectif d’origine de l’assouplissement quantitatif était de lutter contre la déflation alors menaçante. Il avait été admis que l’objectif d’une inflation « proche de et inférieure à 2 % » s’appliquait dans les deux sens, et que la déflation était aussi dangereuse pour l’économie qu’un excès d’inflation. La déflation a effectivement été vaincue, mais sans effet inflationniste. La perplexité des économistes s’est encore accentuée avec l’introduction des taux d’intérêts négatifs, pourtant censés ne pas exister. Le parallèle avec les mathématiques s’impose, avec l’invention du nombre imaginaire i, lequel postule l’existence de l’impossible, à savoir la racine carrée d’un nombre négatif. Cet imaginaire i a pourtant permis la modélisation de nombreux phénomènes physiques, comme le courant alternatif, établissant en quelque sorte le lien entre l’imaginaire et le réel.
Reprendre les rachats d’obligations ? Les rachats systématiques d’obligations, les taux négatifs équivalents à des subventions, l’allongement des maturités ont très bien fonctionné, du point de vue des États naturellement, et du point de vue des marchés. De 2015 à 2022, l’économie des pays de l’OCDE a connu une période de stabilité et de croissance, prouvant la grand efficacité du quantitative easing. On peut supposer que l’harmonisation des politiques de la FED et de la BCE à cet égard a contribué à la stabilité relative du taux de change de l’euro face au dollar. Quelles que soit le bien-fondé des critiques suscitées par la hausse considérable du bilan des banques centrales, le fait de la symétrie des politiques de part et d’autre de l’Atlantique a certainement joué en ce sens. On ne peut dès lors que s’interroger sur la pérennité des mesures annoncées en 2023. A l’arrêt des rachats d’obligations doit succéder une politique de diminution de la taille du bilan de la FED. Et d’accord ou pas, la BCE se voit obligée de suivre sous peine de créer un possible décrochage de l’euro et des tensions sur les marchés obligataires. La substitution de la BCE aux marchés pour le financement des États s’est avérée une réussite complète sept années durant, de sorte que l’on ne peut que souhaiter la reprise d’une politique qui a fait ses preuves, dès le retour de l’inflation à des niveaux acceptables. La difficulté à cet égard sera de convaincre à nouveau les faucons de la BCE dont l’opposition avait été habilement contournée une première fois, en 2015. L’urgence et l’ampleur des besoins d’investissements publics annoncés dans les domaines aussi variés que la défense et l’aide à la restructuration de la production d’énergie, sur les plans géostratégiques et écologiques devraient permettre à la BCE de surmonter les oppositions. Alain Lemasson Ancien banquier – Fondateur d’infofi2000 |
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