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La venue à Paris des dirigeants des plus grandes banques du monde a laissé beaucoup de Français perplexes. S’agissait-il, comme cela a été suggéré, d’une prévente aux enchères des banques françaises, ou plus vraisemblablement d’une invitation à investir dans les secteurs les plus variés de l’économie ? En partie sans doute, mais la dimension de ces institutions et surtout leur rôle majeur dans le développement de la finance mondiale laisse entrevoir d’autres ambitions, du côté américain comme du côté français.
Nul besoin en effet de venir à Paris s’il était seulement question de l’achat de telle ou telle banque, ou d’investir dans certaines cibles industrielles. Ces banques sont parfaitement équipées pour effectuer à distance leur travail d’investigation et d’analyse, quitte à négocier au dernier moment l’accord des autorités françaises. En fait il s’agit surtout de banques d'affaires actives sur les marchés financiers, en trading notamment, et en gestion de fonds d'investissement. Ce qui intéresse la France et l’Europe, c’est le modèle américain. Et ce qui intéresse les grandes banques américaines, c’est l’extension de leur modèle à l’ensemble du continent européen et, naturellement, les synergies avec leurs activités nord-américaines.
Un chiffre permet de prendre conscience de leur importance. En termes de capitalisation boursière, JP Morgan et Bank of America représentent en effet à elles deux, sept fois l’ensemble BNP, Société Générale et Deutsche Bank ! Mais au-delà de leur taille proprement dite, c’est leur capacité à capter l’épargne privée à grande échelle et à l’investir en capital-risque qui les différencie de leurs homologues européennes. Ces deux banques ont tissé l’une et l’autre sur ce modèle des réseaux actifs d’un point à l’autre du territoire américain. JP Morgan est par exemple propriétaire du plus gros hedge fund de la planète, un terme qui désigne un fond dont le ratio risque/potentiel de gain est particulièrement élevé. Et c’est précisément dans le domaine des fonds d’investissement que l’Europe a son plus grand retard. Les statistiques de la Direction du Trésor font état de 25 milliards de dollars investis en capital-risque en Europe en 2020, contre … 145 milliards aux États-Unis.
Amorcer l'Europe financière
L’intérêt des mastodontes américains pour l’Europe s’explique aussi par la possibilité de proposer de nouveaux débouchés aux épargnants américains. Le choix de Paris se justifie quant à lui par le rôle promoteur de la France dans ce domaine. Les obstacles à contourner sont immenses, puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de convaincre les pays européens de la nécessité d’ouvrir les frontières bancaires, d’harmoniser les fiscalités et les dispositifs d’assurance notamment, un travail en cours depuis plusieurs années mais longtemps freiné, par l’Allemagne notamment.
La France compte sur la puissance et le professionnalisme des banques américaines pour sensibiliser ses partenaires et les épargnants européens à l’intérêt de développer l’investissement en capital-risque. Il est certain qu’une partie de l’épargne ainsi drainée partira aux Etats-Unis, comme c’est déjà le cas, mais, c’est le « prix » à payer pour l’amorce d’un mouvement favorable à l’économie européenne, et donc à la réduction de l’écart entre l’Europe et les États-Unis.
Alain Lemasson
Centrale et Insead, ancien banquier
Auteur de « Comprendre l’économie et la Finance modernes – 4ème édition » voir ici (clic)