Keynes et l'Union des Marchés de Capitaux
Keynes et l’Union des Marchés de Capitaux
25 mars 2025
On peut regretter que Keynes, grand connaisseur de la bourse et spéculateur passionné, n’ait pas théorisé le rôle des marchés dans le financement de l’économie. Il est vrai que de son vivant et jusqu’à sa disparition en 1946, seules de très grandes entreprises étaient présentes en bourse, et ce n’est que beaucoup plus tard que la demande pour ce mode de financement a fortement augmenté.
Le tournant des années 2000 a marqué en effet l’explosion des besoins d’investissements de toutes les catégories d’entreprises, des startups aux plus grandes. En réponse, l’autofinancement et le recours au crédit bancaire longtemps privilégiés dans les pays d’Europe ont montré leurs limites. On commence à comprendre la problématique des startups, que les banques refusent de financer du fait des risques encourus, mais qui ne peuvent prétendre à un accès à la bourse qu’à partir d’une certaine taille. A l’autre extrémité pourrait-on dire, la faible capacité des bourses européennes est apparue, limitant fortement le développement des très grandes entreprises.
Il faut bien voir à cet égard que s’il est facile pour les particuliers d’acheter ou de vendre à tout moment des actions cotées sur les bourses européennes, les choses sont en revanche très différentes pour les entreprises qui veulent s’introduire en bourse, ou procéder à de nouvelles émissions d’actions. L’existence de plusieurs bourses européennes limite la capacité de chacune d’elles à attirer l’ensemble des investisseurs européens au moment particulier d’une émission.
Il s’agit en effet d’opérations complexes et juridiquement encadrées, mettant met en jeu des acteurs professionnels, des banques d’investissement notamment. Procéder à plusieurs émissions simultanées à partir de plusieurs bourses serait théoriquement possible, n’étaient les coûts supplémentaires qui en découleraient.
Le retard des fonds d’investissements européens
Ce cloisonnement juridique et règlementaire ne concerne pas seulement les bourses,il explique également le retard des fonds d’investissement, indispensables pour le financement des startups. Les chiffres de comparaison avec les États-Unis sont sans appel, puisqu’il y a en Europe trois fois moins de fonds d’investissements dits de « capital risque » disposant de 200 à 500 millions d'euros à investir, et sept fois moins de fonds disposant de 500 millions d'euros à un milliard d'euros ou plus.
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Le paradoxe à cet égard est que l’Europe dispose d’un réservoir d’épargne considérable, mais faute de circuits adéquats, seule une petite partie de cette épargne est utilisée pour financer l’économie européenne. Ce diagnostic n’aurait pas échappé à Keynes, observateur de l’époque actuelle, et il est certain que sa notoriété luiaurait permis d’imposer l'urgence d’une réaction aux décideurs européens.
Notre chance est que les startups européennes jouent de plus en plus ce rôle de lanceur d’alerte. Leur migration forcée vers les États-Unis montre clairement leur difficulté à trouver sur le sol européen les financements nécessaires.Il en est de même pour les multinationales européennes, elles aussi contraintes de migrer vers les marchés américains faute d’obtenir des financements suffisants auprès de l’une ou l’autre des « petites » bourses européennes.
En observateur avisé, Keynes aurait perçu ce rôle parallèle des fonds d’investissement et de la bourse en fonction de la taille des entreprises concernées. Et mis en avant l’importance de l’intermédiation bancaire dans l’efficacité des fonds, par le rapprochement des opportunités d’investissement et des investisseurs potentiels.
On peut espérer que les discussions en cours sur la défense européenne ainsi que la notoriété soudaine de la startup française Mistral dans le domaine de l’IA vont accélérer la prise de conscience de l’urgence pour l’Europe de renforcer ses capacités financières. En mettant fin au cloisonnement boursier et bancaire actuel, l’Union des Marchés de Capitaux facilitera l’orientation de l’épargne privée vers les entreprises européennes.
Alain Lemasson
Ex Vice President Europe de CNH Capital
Publications - Les Échos (clic)
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