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UNE TRIBUNE
dans LES ECHOS
(publiée le 27 janvier 2023)
BCE: le pilotage subtil des dettes souveraines
Les autorités européennes peinent à corriger les règles destinées à limiter l’endettement des pays membres de la zone euro et on peut les comprendre, d’autant que le problème s’est accentué du fait des dépenses engagées dans le contexte de la pandémie et, plus récemment, suite aux mesures annoncées pour renforcer les capacités de défense de l’Europe.
L’équation à résoudre n’est pas simple puisque la fixation de règles d’endettement impose de concilier deux objectifs de nature différente. Le premier, le plus visible, est politique et concerne le maintien de la cohésion fragile entre pays du Nord de l’Europe et pays du Sud, que tout oppose sur l’idée de dette acceptable ou non. Le second est tout aussi important puisqu’il s’agit de maintenir l’ouverture du robinet financier, c’est-à-dire de garder la confiance des marchés quant à nos capacités d’emprunt.
La confiance des marchés, comme celles des banques, s’appuie sur des éléments techniques précis, et notamment la durée et la structure de l’endettement existant et futur. Il leur faut également s’assurer de la solidité de la monnaie sur la durée de l’emprunt. Ce cadre d’analyse a été considérablement remodelé à partir de 2014, du fait des mesures de la BCE.
La révolution silencieuse du quantitative easing
Avant cette date, le mécanisme d’endettement reposait sur la vente aux marchés d’obligations de courte durée, six mois en moyenne. A chaque échéance, de nouvelles obligations étaient émises pour permettre le remboursement des précédentes et couvrir les nouveaux besoins.
Pour les États emprunteurs, la conséquence première de ce mécanisme était de repousser sans fin le remboursement du capital emprunté, ce qu’exprime la formule de la dette supportée par nos petits-enfants. Quant au prêteur, le risque concernant la solvabilité de l’emprunteur et la stabilité de la monnaie était peu élevé puisque limité à de courtes périodes.
Le quantitative easing et plus précisément les mesures de rachats d’obligations ont complètement modifié ce schéma en ce sens que les États ne vendent plus des obligations aux marchés mais aux banques, qui les revendent ensuite à la BCE, une manière pour elle juridiquement correcte de financer les États sans contrevenir formellement aux règles encadrant son action.
L’élément majeur est surtout que la BCE a permis aux États d’allonger la durée des obligations émises, tout en baissant progressivement les coupons, jusqu’à les rendre négatifs. On peut deviner que les conditions de rachats aux banques étaient suffisamment intéressantes pour motiver la revente à la BCE des obligations acquises.
Le quantitative easing a ainsi permis d’atteindre trois objectifs, le rééchelonnement des dettes souveraines, le subventionnement des États par le biais des taux négatifs et une aide discrète accordée aux banques.
De tous ces objectifs, le premier est certainement le plus important du point de vue des marchés. La partie de dettes détenue pour vingt ou trente ans par la BCE peut être en effet assimilée aux quasi-fonds propres d’une entreprise, dont l’importance constitue un facteur direct de réduction du risque. Si l’on déduit de la dette française le montant à présent immobilisé dans les livres de la BCE, soit environ un tiers, le « vrai » ratio de la dette française, du point de vue des marchés, n’est plus de 113% du PIB mais de 75%, et sans doute moins.
La discrétion de la BCE
Ceci pose un réel problème de communication car le quantitative easing a donné aux États un réel potentiel d’endettement, mais en faire l’annonce publique risquerait d’ouvrir la porte aux excès.
Il faut remarquer à cet égard le changement de tonalité dans la communication de la BCE. La Banque de France publie très régulièrement le taux des OAT, les obligations d’État, à deux, dix ou trente ans, mais sans donner de chiffres sur les émissions. On ignore de même les volumes et les caractéristiques des placements effectués par les États sur les marchés obligataires, mais tout laisse penser que la BCE continue discrètement ses achats. Le plus important est le maintien de la confiance des marchés et donc la capacité des pays de la zone euro à faire face aux nouvelles dépenses auxquelles ils vont être confrontés.
Alain Lemasson
Ancien banquier – Fondateur d’INFOFI2000
voir la chronique sur le site de Capital (clic sur l'image)
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