Capital juin 2020
La Leçon d'ÉCO
d’Alain Lemasson
Les coronabonds pourraient-ils nous sauver ?
(titre original: Les coronabonds)
Les coronabonds sont une nouvelle manière de parler des eurobonds, un projet ancien à peine remisé et que le problème aigu d’endettement public lié à la pandémie a fait resurgir.
L’idée des coronabonds, comme des eurobonds, est de faciliter l’endettement des États déjà très endettés en instaurant la mutualisation des emprunts. Chaque État devient ainsi solidairement garant de la dette des autres.
Vue globalement, l’opération serait séduisante pour le prêteur qui verrait une réduction considérable du risque de non remboursement. Elle le serait aussi pour les États les plus fragiles, assurés de trouver facilement et à bon compte les financements nécessaires.
Concrètement, les obligations émises par l’État français par exemple, actuellement signées par les seules autorités françaises seraient alors cosignées par les autres États, et deviendraient ainsi des obligations européennes, des eurobonds.
Outre leur effet positif immédiat sur les capacités d’emprunts des États, les coronabonds auraient un impact psychologique et politique d’importance. La notion parfois vague de solidarité européenne, prendrait alors un éclat symbolique visible par tous.
Le problème est que l’échec des eurobonds risque de se répéter pour les coronabonds, quand bien même le contexte a considérablement changé.
Sur un plan strictement financier, il est vrai qu’en théorie, la mutualisation pénalise les États riches. Le taux d’intérêt reflètant le risque, on peut concevoir que si l’on fait un seul emprunteur en réunissant un emprunteur riche et un emprunteur pauvre, le taux d’intérêt résultant sera la moyenne des taux d’intérêt, initialement faibles pour le premier et élevé pour le second. En situation d’emprunt unique, l’emprunteur riche paiera donc plus d’intérêts qu’auparavant.
A cela s’ajoute un problème culturel. Les pays du Nord, reprochant aux pays du Sud leur frivolité en matière de dépenses et de dette, refusent par conséquent la double peine, la hausse des taux d’intérêts pour leurs propres emprunts, et l’obligation de payer les dettes des États impécunieux.
Taxer d’égoisme cette attitude, c’est ignorer les valeurs différentes des pays de culture protestante, notamment dans le rapport à l’argent et à la dette. Il faut savoir par exemple qu’en allemand un même mot Schuld désigne la dette et la faute, et que par ailleurs la constitution allemande oblige les régions en excédent à aider celles qui sont en déficit. La loi dite de péréquation budgétaire donne lieu chaque année à des débats agités, les régions riches, ironiquement les länder du Sud de l’Allemagne, étant contraints de voler au secours des länder impécunieux du Nord.
Pour contourner cet obstacle, les négociateurs avaient proposé d’assortir le recours aux eurobonds de conditions strictes de gestion, ce qui a été refusé, et l’a été à nouveau dans la discussion sur les coronabonds. L’dée de lier l’utilisation des fonds levés aux dépenses liées à la pandémie pourrait être tout aussi vouée à l’échec du fait de l’impossibilité de tout contrôle à cet égard.
En fait, la solution pourrait bien venir une fois de plus de la BCE. Fait nouveau, le recours au marché n’est plus la solution privilégiée au problème de financement des énormes dépenses à venir. Le prêteur alternatif, c’est la BCE. Comme la FED, sa consoeur américaine, la BCE a fait exploser les limites à cet égard et pourrait aller jusqu’à porter dans son bilan la totalité ou presque des dettes souveraines. Un traitement de choc pour une économie en état de choc.
Alain Lemasson
Ancien banquier (France, Allemagne, USA)
Fondateur du site de e-learning Infofi2000.com
Inscrivez-vous au site
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 3 autres membres