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Licenciements boursiers

 

 

 

 

 

 

 

UNE  CHRONIQUE

d’Alain Lemasson

(Capital le 7 février 2020) 

 

 

Licenciements boursiers

 

 

Cette expression, qui a fait florès, figure en bonne place dans le cortège des anathèmes condamnant pêle-mêle la bourse, les marchés, les banques, les actionnaires …  le monde financier. 

Elle a resurgi dans le contexte de la conférence de Carlos Ghosn. Il a été rappellé ça et là que l’épopée du CEO embastillé et auto-libéré ne pouvait faire oublier son passé de cost cutter, en clair sa responsabilité dans la mise au chômage de milliers d’employés en France et ailleurs. 

Parler à cet égard de licenciements boursiers est une manière de dissoudre la performance industrielle du chef d’entreprise, voire sa moralité, dans le symbole honni du monde de l’argent et des intérêts de classe. 

Dans l’esprit du plus grand nombre et hélas aussi dans le discours de nombreux économistes, les licenciements servent avant tout les intérêts des actionnaires. Cette perception erronée est le résultat d’une méconnaissance du rôle de l’actionnariat dans la vie des entreprises, en clair du rôle du capital.  

Une force émotionnelle  

La force de l’expression licenciements boursiers est avant tout émotionnelle. Sa contestation est pour cela très difficile, d’autant qu’il faut hélas plus de deux mots pour l’exprimer. 

Boursiers connote riches, spéculateurs, finance obscure. Mais surtout, le mot licenciement est porteur d’injustice, de la fragilité des faibles vis-à-vis des nantis. Il touche beaucoup de ceux que l’on pourrait qualifier de modérés et qui appartiennent aux secteurs les plus divers de la société. 

Pour qui l’a vécu ne fut-ce qu’une fois dans sa vie, le licenciement est une atteinte terrible à l’estime de soi, une douleur plus forte même que le désarroi et l’inquiétude liés aux conséquences financières. C’est à la fois un code faux personnel et une mise à l’écart sociale que la meilleure indemnisation au titre du chômage ne peut effacer. Cet aspect touche tous ceux qui en sont victimes, « simples » employés ou cadres supérieurs. 

Et pour cette raison l’indemnisation du chômage, certes nécessaire, doit être accompagnée d’une prise en charge au titre de la formation. Sur ces deux plans, incidemment, la France fait partie des pays les plus avancés.  

Une idée fausse  

L’expression licenciements boursiers va plus loin que la stigmatisation de la mise au chômage puisqu’elle crée un lien entre les licenciements et la bourse. L’idée est que la logique boursière explique et justifie les licenciements. L’élimination brutale d’une partie des employés entraîne automatiquement la hausse des profits, et donc celle des dividendes versés aux actionnaires. 

Cette idée fausse doit être combattue. La vérité est que les licenciements massifs sont des constats d’échec de la part d’entreprises qui n’ont pas pu ou su s’adapter à temps à leur environnement concurrentiel. 

La nécessité d’adaptation rapide est une donnée qui concerne toutes les entreprises. La réflexion est permanente, il faut anticiper dans tous les domaines de la gestion, imaginer de nouveaux produits, de nouveaux canaux de vente, former et recruter les personnels, trouver de nouveaux financements. 

Toutes les entreprises doivent s’adapter, ce que l’opinion ne perçoit pas, car les projecteurs de l’actualité se concentrent sur les échecs que traduisent les licenciements massifs. 

Pour une entreprise contrainte à ces licenciements, des milliers d’autres procèdent « en douceur » aux ajustements nécessaires. On a fait peu de cas par exemple du redressement d’Opel par PSA, son nouveau propriétaire. 

Les licenciements massifs traduisent la nécessité d’une réduction des coûts d’une entreprise pour lui permettre de survivre à un moment critique de son existence. Une survie qui protège certes l’investissement des actionnaires, mais protège aussi les autres salariés. La réduction des coûts salariaux n’est pas dictée par la recherche de profits immédiats mais par l’impératif de compétitivité. 

L’opinion s’émeut parfois de la survenance de telles annonces de la part d’entreprises bénéficiaires. C’est oublier que les profits affichés correspondent au passé et que la mission du management est principalement dans l’anticipation. A contrario, les périodes de recrutements intensifs survenant ensuite dans des entreprises concernées ne font que rarement la une de l’actualité.  

Une pédagogie nouvelle  

L’opinion est ainsi faite qu’elle a besoin d’admirer et de détester. Le rejet de la finance, des banques et des marchés prévaut en France, plus que dans le monde anglo-saxon. Un rejet entretenu par une partie importante du monde politique et malheureusement aussi par une large fraction du ’monde universitaire.   

Si l’on ajoute à cela la condamnation explicite de la finance par le pouvoir religieux – la déclaration du dicastère romain de mai 2018 est à cet égard sans ambiguité – l’espoir de modifier les choses peut apparaitre bien ténu. 

Cet état des forces en présence ne doit pas altérer l’effort d’éducation nécessaire. Le chemin pédagogique à suivre est simple, il faut dire et redire que la bourse est pour les entreprises une source d’argent gratuit. Gratuit en ce sens qu’il n’y a pas d’obligation de remboursement de la part des entreprises, ce qui est tout de même extraordinaire. 

Il faut dire aussi que la croissance économique est incontournable pour créer des emplois et que la clé de la croissance c’est la finance, et principalement le marché des capitaux. Il y a belle lurette en effet que l’autofinancement et le crédit bancaire ont atteint leurs limites face aux énormes besoins d’investissement des entreprises.

 

Alain Lemasson

  

 

Voir la chronique sur le site de Capital (cliquer sur l'image) 

 

 

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06/11/2020
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