Okay. Parlons de la bourse. Eh bien la bourse c’est très simple, c’est une invention qui permet aux entreprises d'obtenir de l’argent … sans obligation de remboursement.
Oui, vous avez bien entendu ! Sans obligation de remboursement. C’est un aspect des choses dont on ne parle que rarement. Les médias nous donnent une image complètement différente.
Vous avez vu comme moi, dans les films ou à la télé, quand on parle de la bourse, on voit des gens très agités, qui regardent des écrans emplis de chiffres et qui courent à droite et à gauche. On parle des traders qui gagnent des fortunes et font couler les banques. C’est spectaculaire mais effectivement, on n’y comprend rien.
Et chaque jour, dans les news, on apprend que la bourse a monté, ou qu’elle a baissé. Telle action a monté de façon spectaculaire ou s’est écroulée. Et ça ne s’arrête jamais, d’un côté à l’autre de la planète. Il y a même des ordinateurs qui vont tout seuls en bourse. Et on se demande pourquoi il y a des hausses et des baisses. Chaque jour, les commentateurs trouvent des explications. La politique ceci, le pétrole cela, les investisseurs ceci, la technologie cela.
Mais papa, explique-nous ce mystère de l’entreprise qui ne rembourse jamais.
J’y viens. Pour bien comprendre la bourse, il faut commencer par le commencement. Il faut regarder un moment très précis de la vie d’une action, sa création, sa naissance. C’est le point de départ et vous allez voir comme c’est malin.
Je parle de naissance, parce que c’est exactement ça. Un beau matin, une entreprise décide d’entrer en bourse. Elle le fait car elle a besoin d’argent, mais ne veut pas ou ne peut pas passer par sa banque, pour des raisons X ou Y que je vous expliquerai plus tard. La raison la plus simple étant souvent d’ailleurs que la banque ne veut plus prêter car elle a atteint ses limites.
Concrètement, l’entreprise fait imprimer des actions à son nom et les propose en bourse. Bien-sûr c’est préparé. Il y a eu des annonces, de la publicité, des calculs savants pour fixer le prix des actions.
Le jour J, n’importe qui peut acheter une ou plusieurs actions. Tout à l’heure, je vous montrerai comment faire, c’est très simple. Les gens qui achètent pensent que l’entreprise en question va bien travailler et que dans quelque temps ces actions vont prendre de la valeur. Et alors, en les revendant, ils pourront faire un bénéfice. Ils espèrent aussi recevoir des dividendes.
Le plus intéressant, c’est ce qui se passe du côté de l’entreprise. Pour elle, c’est très simple, l’argent qu’elle reçoit en échange des actions qu’elle a fait imprimer, elle le garde pour elle. Elle ne le remboursera jamais.
Vous avez bien entendu, elle ne le remboursera jamais. Pour être plus précis, elle n’a aucune obligation de rembourser, ce qui revient au même !
C’est miraculeux, vous ne trouvez pas ? Vous empruntez de l’argent sans obligation de rembourser.
Vous allez me dire, mais alors pourquoi les gens achètent des actions s’ils ne sont jamais remboursés ? Et pourquoi toutes les entreprises ne vont pas en bourse si c’est tellement miraculeux ?
Oui justement !
Alors parlons des acheteurs d’actions. Les acheteurs d’actions ne sont pas remboursés par l’entreprise, mais ils savent qu’ils peuvent revendre leurs actions dès le lendemain s’ils le souhaitent, et donc récupérer leur mise. Avec bien sûr l’espoir de faire un bénéfice, comme je vous l’ai dit.
Il est même arrivé que des acheteurs d’actions les revendent le jour même ! Pourquoi ? Parce que le cours avait monté en quelques heures. Le cas le plus spectaculaire est celui d’AliBaba, la société chinoise qui concurrence Amazon.
Tu dis qu’ils peuvent revendre très vite leurs actions, mais que se passe-t-il s’il n’y a personne pour les racheter ?
Il y a toujours quelqu’un parce qu’il y a un grand nombre d’intervenants en bourse. Il y a toujours un acheteur, c’est une affaire de prix.
Vous réalisez à quel point cette invention est géniale ? Oui, en fait vous pensez que c’est trop beau pour être vrai. Qu’il y a un loup.
Il n’y a pas de loup. Mais j’y pense, si vous voulez impressionner vos copains, vous leur parlerez d’IPO. Prononcez en français A-i-Pi-O, et vous avez le son anglais. IPO est l’abréviation de Initial Public Offering, mot-à-mot, offre publique initiale. En français, le terme technique est « Introduction en bourse »...
Papa, on n’en est pas là ! Mais la question que tu as posée toi-même, pourquoi toutes les entreprises ne vont pas en bourse ? Et puis, tout ça se passe sans contrôle ? Il n’y a pas des fraudes, des abus ?
Mais tu penses à quelles sortes de fraudes ou d’abus ?
Je ne sais pas moi. Les entreprises sont prêtes à tout pour aller en bourse, pour faire des IPO, comme tu dis. Emprunter de l’argent sans rembourser, c’est le jackpot. Et puis il y a peut-être des escrocs qui font imprimer des fausses actions et les revendent.
Imprimer des fausses actions, ça ne s’est jamais vu, d’autant moins que les actions « papier » n’existent plus. La bourse est devenue incontournable pour tout le monde. Pour les entreprises qui ont besoin d’argent et pour les épargnants qui veulent faire des placements. C’est donc l’intérêt de tous que les choses se passent bien.
Contrairement à ce qui est dit sur les marchés débridés et l’absence de régulation, la bourse est très contrôlée. Mais on va s’arrêter un moment. Je voudrais vous montrer comme il est simple d’acheter ou de vendre des actions sur internet….
Tu veux dire maintenant, là, tout de suite ?
Oui, tout de suite, regardez bien. Voilà je vais sur le site de ma banque et je clique sur portefeuille. Vous voyez j’ai quelques actions, surtout sur les marchés américains, que je suis en train de tester.
Alors dites-moi le nom d’une entreprise, la première qui vous vient à l’esprit…
Apple !
Ok. Voyons quelle heure il est, oui le nasdaq est ouvert.
Le nasdaq ?
C’est le nom du marché des valeurs technologiques, un marché purement électronique. L’autre marché américain s’appelle le NYSE, ce qui veut dire New York Stock Exchange, le marché historique.
Je clique sur acheter et voilà. Vous voyez ce chiffre qui bouge sans arrêt, c’est le cours d’Apple. Et on peut voir comment il a évolué, ce qu’il valait il y a une heure, un jour, un an. Combien ont été vendues, à quel prix… Des tas d’informations à la disposition de tout le monde. C’est dingue non.
Je vais en acheter une, pour vous montrer. Le site me propose le prix du marché ou un cours limite. Je clique marché et c’est fait je viens d’acheter une action Apple au prix de 160$. Bien sûr je dois payer des frais. Dans une heure ou deux on regardera si on a gagné ou perdu.
Vous avez vu comme c’est simple… vive internet !
Ok Papa, en quoi le fait d’acheter une action change les choses pour Apple ?
Aujourd’hui, à l’instant où je vous parle, rien n’a changé pour Apple, que j’achète une ou mille actions. Il n’y a eu qu’un changement de propriétaire des actions. Mais ce qui compte pour Apple, c’est ce qui s’est passé avant et qui peut se passer dans le futur.
Vous allez voir ! Nous sommes pile dans le cœur de la bourse, dans son intérêt pour les entreprises et pour l’économie.
Pour l’entreprise, je vous l’ai dit il y a un moment important, c’est celui de la première émission d’actions, un événement qui ne se produit pas tous les jours. Si tout va bien, si le prix parait acceptable, si les perspectives économiques de l’entreprise sont bonnes, et si son management parait sérieux, les investisseurs vont acheter les actions mises en vente. Une fois cette IPO réalisée, l’entreprise a en caisse les millions ou les milliards d’euros qui sont le fruit de la vente des actions.
A partir de là, le cours de l’action évolue. Ce cours va monter si de nouveaux acheteurs ont envie d’acheter des actions. Pour ça il faut que les détenteurs d’actions acceptent de vendre. S’il y a plus d’intentions d’achat que d’intentions de vente, le cours monte. Il monte jusqu’au moment où ceux qui ont déjà des actions pensent que leur gain est suffisant, et vendent.
Pendant ce temps, rien ne change pour l’entreprise qui a émis les actions. Que le cours monte ou baisse, sa situation financière ne change pas dans l’immédiat … et à condition que les écarts de cours ne soient pas trop importants.
Si le cours se met à flamber, les choses peuvent changer. Tesla a connu une hausse phénoménale de son cours sur les six premiers mois de 2020, un cours multiplié par quatre ! Cette situation a conduit l’entreprise à faire une nouvelle émission d’actions avec le nouveau prix, qui lui a rapporté cinq milliards de $.
Cinq milliards de $, une somme colossale qui a été immédiatement utilisée pour construire une énorme usine de batteries en Allemagne, et recruter du personnel. Cinq milliards de $, c’est très peu par rapport à la valeur de l’entreprise en bourse, plus de mille milliards de $, donc ça n’a pas créé un changement sensible dans la répartition du capital.
Et pour les actionnaires, anciens et nouveaux, le projet était attractif car ils savaient que cet apport de fonds dans l’entreprise lui permettrait d’être encore plus rentable. Et donc que les perspectives de croissance du cours en bourse étaient excellentes.
Un jeu gagnant-gagnant, comme vous voyez.
Papa, tu nous donnes le tournis !
Ok, revenons sur terre, et regardons les choses avec lucidité. Je vous ai décrit un système qui transforme l’esprit de spéculation des uns en richesse positive pour les entreprises. Imaginez-vous ce que ça veut dire pour l’économie. Des entreprises peuvent investir, se développer, recruter sans devoir puiser dans leurs propres ressources, sans supplier les banques de leur faire crédit et sans demander l’aide de l’État.
Ça mérite quand même que l’on s’intéresse au sujet, vous ne trouvez pas ?
D’accord papa, mais il y a des gens qui perdent parce que les cours baissent
Oui, mais ceux qui perdent connaissaient la règle du jeu, et ils savent qu’ils peuvent re-gagner ensuite ce qu’ils ont perdu. Ils savent aussi que tant qu’on n’a pas vendu, on n’a pas perdu. Ça s’appelle vivre avec le risque.
Voilà un premier aperçu de cette invention-miracle qu’est la bourse ! Pensez-y, parlez-en autour de vous, c’est la meilleure manière de fixer les choses dans votre mémoire.
Bon, on comprend un peu, mais la bourse c’est pour les riches, non ?
Oui c’est ce que tout le monde à l’air de croire. Tout le monde en France, je précise. Aux US et au Canada, tout le monde va en bourse, les riches et les pauvres.
Vous faites de grands yeux, je vous explique.
Aux US et au Canada, les gens ne n’ont pas tous les jours le nez collé devant des écrans à passer des ordres, à acheter ou à vendre. La majorité des citoyens place une partie de ses revenus dans un portefeuille d’actions qui est géré par des professionnels.
Les retraites aux US sont gérées par des fonds de pension. Ces fonds de pension récoltent cette épargne et achètent des actions. A court terme, les actions montent et baissent. Mais à partir d’une durée de 10 ans, globalement, les actions prennent toutes de la valeur car l’économie progresse. Les fonds de pension revendent alors une partie des actions achetées 10 ans auparavant pour payer les retraités. Ils ont aussi du cash, car beaucoup d’entreprises paient des dividendes. Un autre sujet brûlant dont je vous parlerai.
Le système est très différent en France, où on parle de répartition. Répartition ça veut dire que les cotisations de ceux qui travaillent paient les retraités. Et quand il y a un déficit, c’est l’État qui paie ! Aux US, le problème ne s’est jamais posé comme ça. Il y a eu des faillites de Fonds de Pension, et là c’est terrible, les retraités ne touchent plus rien. La solution, c’est que les salariés répartissent leur épargne dans plusieurs fonds de pension…
Je pense que pour les retraites, on y viendra en France mais il faudra du temps. En attendant, le mouvement a commencé. C’est assez amusant de voir comment on présente les choses à ceux qui veulent placer par exemple un héritage ou le produit de la vente d’une maison. « Ah monsieur, ah madame, nous vous proposons un placement très rentable et pas trop risqué ». Voilà le mot est lâché. Le risque.
Dès qu’un banquier, enfin, disons un conseiller de clientèle parle de placement à risque, ça veut dire, achat d’actions pour une partie. Le mot bourse n’est pas prononcé, pour ne pas faire fuir le client… Ah ces banquiers !
Mais pourquoi me regardez-vous avec perplexité ?... Vous vous dîtes, c’est trop beau pour être vrai. Je vous comprends un peu, mais patience, on aura l’occasion d’en reparler.
Chapitre 2 – ET QUI CONTROLE LA BOURSE ?
… Je disais tout à l’heure qu’il n’y a pas de loup, mais il y a des règles sévères pour les sociétés comme pour ceux qui achètent ou vendent des actions.
Bien sûr que toutes les entreprises ou presque rêvent d’aller en bourse ! Mais comme je viens de le dire, il y a de vraies contraintes, la transparence, l’honnêteté absolue des comptes qui doivent être contrôlés par des organismes reconnus. Mais surtout, il faut bien voir le vrai prix à payer pour cet argent obtenu en bourse sans obligation de remboursement. Ce prix, c’est une perte d’autonomie pour l’entreprise.
Une action, c’est juridiquement un titre de propriété d’une partie du capital de l’entreprise. Les actionnaires sont les copropriétaires de l’entreprise. Donc ceux qui achètent des actions ont leur mot à dire sur la gestion de l’entreprise, et ça peut devenir gênant pour les fondateurs lorsqu’une grande partie du capital est concentrée dans les mains de quelques actionnaires extérieurs.
Il y a des cas célèbres de fondateurs écartés de leur entreprise par les actionnaires. Rappelez-vous Steve Jobs mis à la porte d’Apple à une époque, et rappelé en suite. Rappelez-vous le cas plus récent du fondateur d’Uber, viré en juin 2017.
Plus généralement, et contrairement à ce qu’on entend souvent, la bourse est régulée, très régulée même. Toutes les bourses mondiales sont contrôlées, et les entités chargées de ces contrôles ont des pouvoirs étendus.
Aux Etats-Unis, l’organisme qui fait ce contrôle s’appelle la SEC, abréviation de Security Exchange Commission. Le mot Security est un faux-ami qui signifie « titre ». Les actions sont des titres. Il existe une autre catégorie de titre, les Obligations, dont je vous parlerai le moment venu...
à suivre...
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